À l’occasion de ce qui aurait dû être la journée d’ouverture du 49ᵉ festival de la BD d’Angoulême, j’ai eu envie de faire un post sur une bande dessinée.
Deux questions naturelles se sont posées :
- Quelle BD choisir ? sachant que j’en lis très très peu.
- Quel type de post faire ?
Quelle BD choisir ?
Le choix s’est porté directement sur un roman graphique :
- Qui avait reçu le fauve d’or lors d’une édition précédente du festival d’Angoulême. Et,
- “lisible par des gens qui ne lisent jamais de BD”.
Bref, vous l’avez tous deviné ! Il s’agit bien de l’Arabe du Futur de Riad Sattouf.
Un post, une analyse
De part mon métier (data scientiste) et mon domaine d’application (eXpérience Utilisateur (UX) et Interface Utilisateur (UI)), j’ai analysé algorithmiquement l’expérience de lecture de cette BD. Ce post rend compte de cette analyse. En l’occurrence, les différents éléments évalués viennent appuyer quelques singularités bien connues du bédéiste.
Alors, quid de cette analyse ?
Le process
- Une vidéo écran de ma lecture des premières pages de l’Arabe du futur (en format numérique) a été enregistrée. Un résumé de cette vidéo est consultable dans l’onglet summary du projet partagé ici.
- Cette vidéo a été téléchargée sur la plateforme d’UXvizer, une solution que nous avons développée pour analyser automatiquement l’UX d’une interface numérique. Cette technologie a la particularité d’extraire un certain nombre de critères graphiques et dynamiques.
Les résultats
Les contextes de lecture analysés
La segmentation de la vidéo de lecture a détecté 9 contextes différents de lecture :

Sur lesquelles une analyse graphique a été réalisée.
À noter que la page de titre est absente de cette segmentation. Celle-ci n’a pas été détectée comme un contexte. Elle est pourtant bien présente dans le parcours du lecteur, mais elle a été classée comme transition de lecture.
La séquence d’images extraite de l’analyse détaille cet effet de transition :

Des textes proches d’un article de presse
On note que la surface prise par le texte au regard de la surface d’une page dessinée est particulièrement conséquente. En effet, la surface de lecture varie entre 18% et 40% de la page :

Or, ceci est équivalent à la surface de lecture d’un site de presse. En effet, dans ce genre de site, les interlignes, les espacements entre paragraphes, les emplacements de publicités ainsi les images prennent 50% à 80% de la surface de l’écran. La partie textuelle ne constituant que 20% à 50% de la page écran.
Comment ces ratios ont-ils été calculés ? Ils représentent la surface de toute les boîtes de mots (en vert ci-dessous) par rapport à la surface totale de la page :

Outre l’importance du texte dans l’Arabe du futur, sa mise en forme est comparable à un article. La quasi-omniprésence des éléments narratifs en haut de chacune des vignettes rappelle la lecture en colonne d’un article de presse.
A cela s’ajoute un style direct d’écriture. Tant de caractéristiques propres à l’œuvre de Riad Sattouf et facilitant sa lecture :
« Je fais des bandes dessinées pour les gens qui ne lisent pas de bandes dessinées. C’est mon obsession. »
Riad Sattouf – extrait d’une interview issue de l’émission Ca fait du bien du 14 juin 2021.
Cette recherche de facilité de lecture se retrouve aussi dans sa typographie : une écriture suffisamment épaisse, grande et de couleur noire sur fond blanc. Un ratio de contraste et des caractéristiques typographiques accessibles et lisibles par tous.

Des couleurs au service d’une approche centrée lecteur
Deuxième point notable et singulier du bédéiste : le monochrome. Une couleur pour un environnement.
En l’occurrence, le bleu est associé à la Bretagne, le jaune à la Libye et le rose à la Syrie. (Cette dernière couleur étant absente des premières pages de la BD).
« Je m’impose des contraintes, afin de faciliter la lecture et rendre l’expérience plus intense.«
Riad Sattouf – extrait d’un entretien mené par Laurent Beauvallet et publié par Ouest France le 28/03/2020.
Cette contrainte sur les couleurs et leur faible nombre contribuent à rendre simple la lecture. Ceci est comparable aux bonnes pratiques pour la création d’une interface graphique ! Une couleur pour une action. Et le nombre de couleurs se limite à 5 pour en faciliter la mémorisation.
La palette de couleurs de ces 9 planches parlent d’elle-même. Le monochrome contextualise, soutient et rythme naturellement la lecture.

Autre fait notable : la prépondérance du blanc. En extrayant les 3 couleurs les plus représentatives de l’image sur les pages de la BD, le blanc est majoritairement présent. Il est suivi le plus souvent du monochrome du pays dans lequel le récit se passe et du noir utilisé pour le texte et les dessins.

Cette proportion de blanc s’explique par les marges naturelles de la page, mais aussi par les cartouches et les bulles nombreuses et volumineuses. Une autre caractéristique partagée aux récits traditionnels ou aux articles de presse.
Conclusion
Ces contraintes graphiques et stylistiques présentes dans les planches de l’Arabe du futur sont au service du lecteur, pour son confort et pour provoquer une expérience unique.
Ce que Riad Sattouf a réussi à faire de l’Arabe du futur, une Reader eXperience (RX) de grande qualité.
Des remerciements
Je tiens à remercier Victor Garcia pour son article dans l’express sur Riad Sattouf et son autofiction. Il m’a permis d’accéder librement aux premières pages de la BDs de l’Arabe du futur au format numérique. Ceci a rendu possible l’analyse visuelle qui en a été faite.
Merci aussi à Vincent Josse, producteur de l’émission Le grand atelier sur France Inter, pour son émission dédiée à Riad Sattouf, le 12 mai 2019. Les sujets abordés ont permis d’interpréter les métriques objectives extraites de l’analyse visuelle.
Pour aller plus loin…
- Une mise en musique ludique de cette analyse a été proposée sur #Instagram et est disponible sur YouTube.